Page:Zola - Fécondité.djvu/598

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cette crainte de voir la prospérité, la fécondité s’interrompre et se perdre, à présent que la brèche était ouverte. Et, par cette brèche saignante, voilà que leur Blaise aujourd’hui s’en allait affreusement, comme broyé, sous une colère jalouse du destin. Et, demain peut-être, quel autre de leurs enfants serait arraché de leur chair commune, pour payer à son tour la rançon de leur joie et de leur beauté ?

Longtemps, Mathieu et Marianne sanglotèrent, tombés à genoux devant le lit. Constance se tenait à quelques pas, muette, d’un air de désolation frissonnante. Depuis un instant, Beauchêne comme pour combattre cette peur de la mort qui le faisait grelotter, s’était assis à l’ancien petit bureau de Maurice, laissé dans le salon, en pieux souvenir, et s’efforçait de rédiger un avis aux ouvriers, les avertissant que l’usine resterait fermée jusqu’au lendemain des obsèques. Vainement, il cherchait les mots, lorsqu’il aperçut Denis qui sortait de la chambre, ayant pleuré toutes ses larmes et mis tout son cœur dans un dernier baiser à son frère. Il l’appela, sembla vouloir le distraire, en se faisant aider.

« Tiens ! mets-toi là, continue. »

Et Constance, qui entrait, elle aussi, entendit le mot. C’était le mot que son mari avait prononcé, en faisant asseoir Blaise à ce même bureau de Maurice, autrefois, le jour où il lui avait donné la place du pauvre enfant, dont le corps était encore sur le lit dans la pièce voisine. Et elle eut un recul, une épouvante, à voir Denis écrivant, assis à ce bureau. N’était-ce point Blaise ressuscité ? Ainsi qu’elle avait confondu les deux jumeaux, ce même après-midi, au sortir du gai déjeuner de baptême, elle revoyait là Blaise dans Denis, si pareils l’un à l’autre, que les parents ne les avaient longtemps distingués qu’à la couleur différente de leurs yeux. C’était Blaise qui revenait, qui reprenait sa place, qui aurait