Page:Zola - Fécondité.djvu/60

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Il suffisait de se reporter à la fin du siècle dernier, lorsque Condorcet annonçait le retour de l’âge d’or, l’égalité prochaine, la paix entre les hommes et les nations : une illusion généreuse gonflait tous les cœurs, l’utopie ouvrait le plein ciel à toutes les espérances ; et, cent ans plus tard, quelle chute, cette fin de notre siècle actuel, qui s’achève dans la banqueroute de la science, de la liberté et de la justice, qui tombe dans le sang et dans la boue, au seuil même de l’inconnu menaçant du siècle futur ! Ensuite, est-ce que l’expérience n’était pas faite ? Cet âge d’or tant cherché, les païens l’avaient mis avant les temps, les chrétiens étaient venus le mettre après les temps, tandis que les socialistes d’aujourd’hui le mettaient pendant les temps. Ce n’étaient là que trois illusions déplorables, il n’y avait qu’un bonheur absolu possible, celui de l’anéantissement. Sans doute leur bon catholicisme les faisait hésiter à supprimer le monde d’un coup ; mais ils jugeaient permis de le limiter. Schopenhauer, et même Hartmann, leur semblaient d’ailleurs démodés. Ils se rapprochaient de Nietzsche, l’humanité restreinte, le rêve aristocratique d’une élite, une nourriture plus délicate, des pensées plus raffinées, des femmes plus belles, aboutissant à l’homme parfait, l’homme supérieur, dont les jouissances seraient décuplées. Cela n’allait pas du reste sans des contradictions, dont ils s’embarrassaient peu, ne s’inquiétant, selon leur expression, que d’être en beauté. Malthus était leur homme, comme il était celui de Beauchêne, uniquement parce que son hypothèse, en rendant les pauvres seuls responsables de leur pauvreté, soulageait les riches du poids importun des remords. Mais, s’il avait érigé en loi la privation, il n’avait pas voulu la fraude, et eux le méconnaissaient, rêvaient des coercitions féroces, tout en imaginant des amours stériles, d’un raffinement de monstrueuses débauches. S’ils souhaitaient volontiers,