Page:Zola - Fécondité.djvu/62

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les hommes en nombre, tandis que la liberté les augmente en valeur.

C’étaient bien ces idées-là qui, parfois, troublaient profondément Mathieu. Avait-il donc tort de croire en l’expansion indéfinie de l’humanité ? Faisait-il donc une œuvre mauvaise en mettant la beauté et le bonheur dans le plus de vie possible ? Il répondit pourtant :

— Ce sont là des faits dont la vérité n’est que relative. L’hypothèse de Malthus a été reconnue fausse en pratique. Si le monde se peuplait entièrement, et si même les subsistances venaient à manquer, la chimie serait là pour tirer des aliments de toute la matière inorganique. L’éventualité de ces choses est d’ailleurs si lointaine, que des calculs de probabilité ne sauraient être basés sur aucune certitude scientifique. Et, du reste, en France, loin d’aller à ce danger, nous retournons en arrière, nous marchons au néant. La France, qui comptait pour un quart en Europe, n’y compte plus que pour un huitième. Dans un ou deux siècles, Paris sera mort sur place, comme l’ancienne Athènes et l’ancienne Rome, et nous serons tombés au rang de la Grèce actuelle… Paris veut mourir.

Santerre se récria, plaida à son tour.

— Mais non, mais non ! Paris veut simplement rester stationnaire, et cela parce qu’il est la ville du monde la plus intelligente, la plus civilisée. Comprenez donc que la civilisation, en créant des jouissances nouvelles, en raffinant les esprits, en leur ouvrant des champs nouveaux d’activité, favorise l’individu aux dépens de l’espèce. Plus les peuples se civilisent, moins ils procréent, justement, nous qui marchons à la tête des nations, nous en sommes arrivés les premiers au point de sagesse qui corrige un pays de l’inutile et nuisible excès de fécondité. C’est un exemple de haute culture, d’intelligence supérieure, que nous donnons au monde civilisé, et que le