Page:Zola - Fécondité.djvu/636

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appela plaisamment Alexandre, dès leur première rencontre. Et il n’était pas de pire rôdeur de trottoir, le voyou blême, la face imberbe et sans cils, aux yeux clignotants à la bouche tordue, toute la plante mauvaise du ruisseau, poussée librement dans le fumier parisien. À l’âge de sept ans, il volait ses sœurs, il battait Cécile, le samedi, pour arracher sa paie, de ses petites mains faibles. Jamais la mère Moineaud, éreintée de sa besogne, ne pouvant le surveiller, n’était parvenue à lui faire fréquenter l’école, à le maintenir ensuite en apprentissage ; et il l’exaspérait tellement, qu’elle finissait par l’envoyer elle-même à la rue, afin d’avoir la paix. Les grands frères lui allongeaient des taloches, le père était au travail du matin au soir, l’enfant moralement abandonné poussait au-dehors pour le vice et pour le crime, parmi le flot grouillant des gamins et des gamines de son âge, qui se pourrissaient ensemble, tels que des pommes hâtives tombées des branches. Et il avait grandi en corruption, et il était l’excès sacrifié de la famille pauvre, le trop-plein versé à l’égout, le fruit gâté qui gâtait les autres.

Comme Alexandre, d’ailleurs, il ne vivait plus que de hasards sans qu’on sût même où il couchait, depuis que la mère Moineaud était allée mourir à l’hôpital, épuisée d’avoir trop enfanté dans la misère et sous l’écrasement de son rude ménage. Elle n’avait que soixante ans, elle marchait courbée, détruite, telle qu’une centenaire. Son aîné de deux ans, le père Moineaud, déjeté comme elle, pris par les jambes que tordait la paralysie, lamentable ruine de cinquante années d’injuste travail, venait d’être forcé de quitter l’usine ; et c’était la maison vidée, les quelques misérables nippes aux quatre vents. Lui, heureusement, touchait une petite pension de retraite, qu’il devait à l’initiative pitoyable de Denis. Mais il tombait en enfance, hébété par son long effort de cheval de manège ;