Page:Zola - Fécondité.djvu/641

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l’escalier, toutes deux éperdues, en larmes, anéanties sur des chaises.

L’hiver fut très rude. Le triste ménage des deux pauvres ouvrières, rançonnées de la sorte, serait mort de froid et de faim, avec le cher enfant qu’elles gâtaient quand même, sans les secours que leur apporta régulièrement leur ancienne amie, Mme Angelin. Elle était toujours dame déléguée de l’Assistance publique, elle continuait à surveiller les enfants des filles mères, dans ce terrible quartier de Grenelle, que la misère dévore. Mais, depuis longtemps, elle ne pouvait plus rien faire pour Norine, au nom de l’Administration. Et, si, tous les mois, elle lui apportait une pièce de vingt francs, c’était que des personnes charitables lui confiaient leurs aumônes, des sommes assez fortes, sachant qu’elle aurait à qui les distribuer utilement, au fond de l’effroyable enfer où sa fonction la faisait vivre. Elle mettait sa dernière joie, la grande consolation de sa vie désolée, sans enfant, à donner ainsi aux mères pauvres, dont les petits lui riaient d’allégresse, dès qu’ils la voyaient venir, les mains pleines de bonnes choses.

Un jour, par un temps affreux de pluie et de vent, Mme Angelin s’oublia un instant chez Norine. Il était deux heures à peine, elle commençait sa tournée, tenant sur les genoux son petit sac, gonflé des pièces d’or et des pièces d’argent qu’elle avait à distribuer. Le père Moineaud se trouvait là, en face d’elle, calé sur une chaise, à fumer sa pipe ; et elle se préoccupait de lui, elle expliquait qu’elle aurait bien voulu lui faire obtenir un secours mensuel.

« Mais, ajouta-t-elle, si vous saviez ce que souffre le pauvre monde, en ces mois d’hiver ! Nous sommes débordés, nous ne pouvons donner à tous. Vous êtes encore parmi les heureux. J’en vois couchés sur le carreau, comme des chiens, qui n’ont pas un morceau de charbon