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Page:Zola - Fécondité.djvu/695

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sentit bien le vide du gouffre, le vent de la chute, dans la brusque horreur de ce plancher qui manquait sous eux. Mais il était lancé, il fit le pas à son tour, hurla, culbuta lui aussi. Les deux corps vinrent se broyer, tous les deux tués sur le coup. Morange pourtant respira quelques secondes encore. Alexandre gisait, le crâne défoncé, la cervelle répandue, à la place même où l’on avait ramassé Blaise.

Ce fut une stupeur horrible, ces deux morts qu’on trouva là, sans qu’on pût s’expliquer la catastrophe. Morange emportait son secret, l’acte de justicier atroce qu’il avait accompli au petit bonheur de sa démence, pour punir Constance peut-être, peut-être pour réparer l’ancien tort, Denis frappé jadis dans son frère, récompensé maintenant dans sa fillette Hortense, qui vivrait heureuse avec Margot, la belle poupée si sage. En supprimant le criminel instrument, il supprimait le nouveau crime possible. Lui-même sous le coup de l’idée fixe, n’avait sans doute pas raisonné cette justice de cataclysme, supérieure à la raison, qui passait avec l’impassible cruauté d’un ouragan, fauchant des existences Il n’avait pas su, il avait agi. Mais il n’y eut qu’une voix à l’usine, il était sûrement fou, lui seul devait être la cause de l’accident, d’autant plus qu’on ne pouvait comprendre les lampes éteintes, la porte de la barrière grande ouverte, la culbute dans ce trou qu’il savait là, où l’avait suivi le malheureux jeune homme qui l’accompagnait. D’ailleurs, les jours suivants, la folie ne fit plus doute pour personne, lorsque la concierge, chez lui, raconta ses dernières extravagances, et surtout lorsqu’un commissaire de police vint visiter son appartement. Il était fou, fou à lier. D’abord, on n’avait pas l’idée d’un appartement tenu de la sorte, la cuisine, une vraie écurie, le salon abandonné, avec son meuble Louis XIV gris de poussière, la salle à manger saccagée, les meubles de vieux chêne barrant la