Page:Zola - Fécondité.djvu/744

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redevenus des enfants joueurs, devant les quatre-vingt-dix ans et les quatre-vingt-sept ans du marié et de la mariée. C’était un doux éclat des visages, sous les chevelures blanches, sous les chevelures brunes ou blondes ; c’était toute la lignée en joie, belle d’une beauté saine et ravie, les enfants rayonnants, les jeunes gens superbes, les jeunes filles adorables, les époux unis, côte à côte. Et quel solide appétit ! Et quel joyeux tumulte accueillant chaque plat ! Et quel honneur fait au bon vin, pour fêter la vie bonne qui avait accordé à leurs deux patriarches la grâce suprême de les réunir tous à leur table, dans une si glorieuse circonstance ! Au dessert, il y eut des saluts, des santés portées, des acclamations encore. Mais, dans les conversations, dans les vives paroles qui volaient d’un bout de la table à l’autre, on en revenait toujours à la surprise du début, à cette entrée triomphale de l’ambassadeur fraternel. C’était lui, c’était sa présence inattendue, tout ce qu’il n’avait pas dit encore, toute l’aventure dont on le sentait plein, qui chauffait la fièvre croissante, la passion de la famille, grisée de ce gala au grand air. Et, dès que le café fut servi, des questions sans fin se croisèrent, il fallut qu’il parlât.

« Oh ! que vous dirai-je ? répondit-il en riant, à une question d’Ambroise, désireux de savoir ce qu’il pensait de Chantebled, où il l’avait promené le matin. Je crains bien de n’être guère aimable, ni pour ce coin de pays ni pour vos œuvres, si je suis franc. Sans doute, la culture est ici tout un art, tout un effort admirable de volonté, de science et de bon ordre, afin d’arracher à cette vieille terre les moissons qu’elle donne encore. Vous travaillez beaucoup, vous faites des prodiges… Mais, grand Dieu ! que votre royaume est petit ! Comment y pouvez-vous vivre sans vous meurtrir les flancs aux coudes des voisins ? Vous vous y êtes entassés par couches profondes, jusqu’à ne plus pouvoir respirer chacun ce qu’il faut d’air