Page:Zola - Fécondité.djvu/745

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libre à une poitrine d’homme. Et vos champs les plus vastes, ce que vous appelez vos grands domaines, ne sont que des mottes de terre, où vos rares bestiaux me font l’effet de quelques fourmis égarées. Ah ! l’immensité de mon Niger, l’immensité des plaines qu’il arrose, l’immensité de nos champs de là-bas, qui n’ont d’autres bornes que l’horizon lointain ! »

Benjamin l’avait écouté de sa place, frémissant. Depuis que ce fils des grandes eaux et d’un autre soleil était là, il ne le quittait plus du regard, avec toute une passion montante dans ses yeux de rêve. Et, lorsqu’il l’entendit parler de la sorte, il ne put résister davantage à l’appel de l’inconnu, il quitta sa place, fit le tour, vint s’asseoir près de lui.

« Le Niger, la plaine immense… Parle, dis-nous cette immensité.

— Le Niger, le bon géant, notre père à tous, là-bas ! J’avais huit ans à peine, lorsque mon père et ma mère quittèrent le Sénégal en un coup d’imprudente bravoure, d’espoir fou, hantés du besoin de s’enfoncer dans le Soudan, au hasard de la conquête. Il y a bien des journées de marche, des roches, des brousses, des fleuves, pour aller de Saint-Louis à notre ferme actuelle, au-delà de Djenné… Et je ne me souviens plus du premier voyage, il me semble que je suis né du bon Niger lui-même, de la fécondité miraculeuse de ses eaux. Il est immense et doux, il roule des flots sans nombre, pareil à une mer, d’une telle ampleur, que pas un pont ne l’enjambe, d’une telle coulée, qu’il emplit l’horizon d’un bord à l’autre. Il a des archipels, des bras couverts d’herbes comme des pâturages, des grands fonds où des escadres de poissons énormes nagent à l’aise. Il a ses tempêtes, il a ses jours de flammes, lorsque ses eaux engendrent sous l’étreinte brûlante du soleil, il a ses nuits délicieuses, ses nuits roses, d’une infinie douceur, lorsque la paix de la terre