Page:Zola - Fécondité.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


V


La nuit, sans lune, était criblée d’étoiles, si brûlantes et si pures, que la vaste campagne se voyait, s’élargissait sans fin, sous une molle clarté bleue. Et, dès onze heures vingt, Marianne se trouva sur le petit pont de l’Yeuse, à mi-chemin de Chantebled, le pavillon occupé par le ménage, et de la station de Janville. Les enfants dormaient, elle avait laissé près d’eux Zoé, la servante, tricotant à côté d’une lampe, dont la lumière s’apercevait de loin, pareille à une étincelle vive, au milieu de la ligne noire des bois.

Chaque soir, d’ordinaire, Marianne venait ainsi jusqu’au pont à la rencontre de Mathieu, lorsqu’il rentrait par le train de sep heures. Parfois, elle amenait ses deux aînés, les jumeaux, bien que leurs petits pieds s’attardassent, au retour, lorsqu’il fallait refaire, en montant la côte assez rude, le kilomètre qu’ils avaient fait déjà pour venir. Et, ce soir-là, malgré l’heure avancée, elle avait cédé à la douce habitude, à la joie de s’en aller ainsi, par une si délicieuse nuit, au devant de l’homme qu’elle adorait. Jamais elle ne dépassait le pont, qui s’élevait en dos d’âne, au-dessus de l’étroite rivière. Elle s’asseyait sur le parapet, bas et large, ainsi qu’un banc rustique, elle dominait de là toute la plainte, jusqu’aux maisons de Janville, que barrait la ligne du chemin de fer ; de sorte que, de très loin, par la route qui serpentait au milieu des blés, elle voyait venir le bien-aimé attendu.