Page:Zola - Fécondité.djvu/92

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Sous le grand ciel de velours, étincelant d’or, elle s’assit à la place accoutumée. D’un mouvement de sollicitude, elle s’était retournée vers la petite lumière vive qui luisait, là-bas, à la lisière des bois sombres, disant le calme de la chambre où elle brûlait, la veillée tranquille de la servante, le bon sommeil des enfants endormis dans la pièce voisine. Puis, son regard se promena, embrassa un instant le large horizon, tout ce domaine considérable qui appartenait aux Séguin. L’ancien rendez-vous de chasse, le pavillon délabré se trouvait au bord extrême des grands bois, dont les bouquets coupés de landes occupaient un vaste plateau, jusqu’aux fermes lointaines de Mareuil et de Lillebonne. Et ce n’était pas tout, plus de cent hectares s’étendaient aussi, à l’ouest du plateau, des terrains marécageux, des mares croupissantes parmi des broussailles, vastes espaces restés incultes, où l’on chassait le canard en hiver ; tandis qu’une troisième partie du domaine, des hectares et des hectares encore de terres également stériles, des sablonnières, des pierrailles, descendaient en pente douce jusqu’à la ligne en remblai du chemin de fer. C’était un coin de pays perdu pour la culture, où les quelques champs de bon terrain restaient improductifs, enclavés, immobilisés dans l’ensemble, toute une location de chasse dont on se disputait les parts. Mais cela donnait à ce pays une adorable solitude, une sauvagerie exquise, faite pour ravir les âmes saines, amoureuses de pleine nature, et rien n’était, sous cette belle nuit, dans ce recueillement immense, d’une paix plus profonde ni plus embaumée.

Marianne, qui avait déjà battu les sentiers des bois, exploré les broussailles, autour des mares, descendu les pentes caillouteuses, s’attarda dans ce lent regard à l’horizon, dont elle retrouvait les points visités, aimés, que l’ombre noyait à cette heure. Une chouette, du fond des bois, jetait son cri doux et régulier, pendant que, sur