Page:Zola - Fécondité.djvu/94

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séparait la gare du petit pont. Et, lui aussi, elle l’apercevait de loin, le reconnaissait, dès sa sortie de la gare. Mais il advint, cette nuit-là, qu’elle entendit parfaitement son pas sur la route sonore, dans le grand silence, avant de voir la fine barre sombre dont il tachait la pâleur du chemin. Et ce fut ainsi qu’il la trouva, debout sous les étoiles, riante, saine, robuste, dans sa taille souple sur ses hanches fortes, avec sa gorge nourricière, menue et ferme. Elle avait la peau d’une blancheur de lait, qu’accentuaient encore ses admirables cheveux noirs, relevés simplement en un énorme chignon, et ses grands yeux noirs, d’une douceur d’amante et de mère, d’un calme sacré de bonne déesse féconde. Son front droit, son nez, sa bouche, son menton d’un dessin si solide, si pur, ses joues de fruit savoureux, ses petites oreilles délicieuses, tout ce visage d’amour et de tendresse disait la beauté bien portante, et la gaieté aussi des devoirs accomplis, et la certitude sereine de bien vivre en aimant la vie.

— Comment ! tu es venue ! s’écria Mathieu, dès qu’il fut près d’elle. Mais je t’avais suppliée de ne pas te déranger si tard… Tu n’as donc pas peur, seule par les chemins ?

Elle s’était mise à rire.

— Peur, lorsque la nuit est si douce, si bienfaisante ! … Et puis, tu ne voulais donc pas que je fusse là, pour t’embrasser dix minutes plus tôt ?

Il fut ému aux larmes par ce mot si simple. Tout ce qu’il venait, à Paris, de traverser de trouble et de honteux, lui fit horreur. Il l’avait prise tendrement dans ses bras, ils échangèrent le plus profond, le plus humain des baisers, au milieu de la paix immense des champs qui sommeillaient. Après le pavé brûlant de Paris, desséché par l’âpre lutte du jour, par le rut stérile et prostitué du soir, sous l’incendie des lampes électriques, quel repos adorable que ce vaste silence, cette molle clarté bleue de