Page:Zola - Fécondité.djvu/96

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ses confidences, ne s’inquiétant que de lui, d’elle et de leurs enfants.

— Tu as touché ton mois, n’est-ce pas ? demanda-t-elle.

— Oui, oui, sois tranquille.

— Oh ! je suis tranquille, c’est à cause seulement des petites dettes qui m’ennuient.

Puis, elle demanda encore :

— Et votre dîner d’affaires s’est bien passé ? J’avais peur que Beauchêne ne t’attardât et ne te fît manquer ton train.

Il se sentit rougir, pris de malaise, le cœur souffrant, tandis qu’il répondait que tout s’était très bien passé. Pour couper court, il affecta de s’égayer soudain.

— Voyons, et toi, chérie, qu’as-tu fait de bon, avec tes trente sous ?

— Mes trente sous ! répondit-elle gaiement, mais j’étais beaucoup trop riche, nous avons vécu tous les cinq comme, des princes, et il me reste six sous.

Alors, elle raconta sa journée, sa vie quotidienne de pur cristal, ce qu’elle avait fait, ce qu’elle avait dit, comment les enfants s’étaient comportés, les plus minces détails sur eux et sur la maison. D’ailleurs, toutes les journées se ressemblaient, elle se remettait chaque matin à revivre la même, avec un égal bonheur.

— Ah ! pourtant aujourd’hui, nous avons eu une visite. Madame Lepailleur, la femme du Moulin, là, en face, est venue me dire qu’elle avait de beaux poulets à vendre… Comme nous lui devons douze francs d’œufs et de lait, je crois bien qu’elle passait voir si je n’allais pas me décider à la payer. Je lui ai répondu que j’irai chez elle demain.

D’un geste, elle avait indiqué, dans la nuit, une grande construction noire, en aval de l’Yeuse. C’était, comme on le nommait à Janville, le Moulin, un ancien moulin à eau qui fonctionnait encore. Depuis trois générations, les