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Page:Zola - Fécondité.djvu/98

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de vingt-quatre ans et dont le mari n’en a pas vingt-sept ! … Ces paysans, ils en sont donc là, eux aussi ? Moi, je les croyais encore à la vieille mode, de faire des enfants tant qu’on peut.

Ces paroles réveillèrent toutes les réflexions, toutes les préoccupations de Mathieu. Il garda un instant le silence.

— Elle t’a donné ses raisons sans doute.

— Oh ! elle, avec sa tête chevaline, sa figure longue, tachée de rousseur, ses yeux pâles et sa bouche serrée d’avare, je la crois une simple sotte, en admiration devant son mari, parce qu’il s’est battu en Afrique et qu’il lit les journaux. Je n’ai pu en tirer que cette opinion têtue : les enfants, ça coûte plus que ça ne rapporte… Mais le mari a sûrement des idées. Tu l’as vu, n’est-ce pas ? ce grand mince, roux et maigre comme sa femme, le visage anguleux, les yeux verts, les pommettes saillantes. Il a l’air de ne pas dérager. Et j’ai compris que, s’il ne veut pas d’autres enfants, c’est qu’il accuse surtout son beau-père d’avoir trois filles et un garçon, ce qui a rogné la part de sa femme. En outre, le métier de meunier n’ayant pas enrichi son père, il déblatère contre son moulin du matin au soir, il répète que ce ne sera pas lui qui empêchera Antonin d’aller manger du pain blanc à Paris, s’il y trouve une bonne place.

Mathieu retrouvait là, dans le peuple des campagnes, les raisons qui limitaient la famille, comme chez les Beauchêne et chez les Morange : la crainte du partage de l’héritage, le besoin de monter d’une classe, exaspéré par le dédain du travail manuel, par la soif du luxe entrevu des villes. Puisque la terre faisait banqueroute, pourquoi s’acharner à la cultiver, avec la certitude de ne jamais s’enrichir ? Il fut sur le point d’expliquer ces choses à sa femme. Puis, il se contenta de dire :

— Il a tort de se plaindre, il a deux vaches, un cheval,