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GERMINAL.

vendications raisonnables. Même, depuis la rapide popularité de son ancien locataire, il outrait ce système du progrès possible, disant qu’on n’obtenait rien, lorsqu’on voulait tout avoir d’un coup. Dans sa bonhomie d’homme gras, nourri de bière, montait une jalousie secrète, aggravée par la désertion de son débit, où les ouvriers du Voreux entraient moins boire et l’écouter ; et il en arrivait ainsi parfois à défendre la Compagnie, oubliant sa rancune d’ancien mineur congédié.

— Alors, tu es contre la grève ? cria madame Rasseneur, sans quitter le comptoir.

Et, comme il répondait oui, énergiquement, elle le fit taire.

— Tiens ! tu n’as pas de cœur, laisse parler ces messieurs !

Étienne songeait, les yeux sur la chope qu’elle lui avait servie. Enfin, il leva la tête.

— C’est bien possible, tout ce que le camarade raconte, et il faudra nous y résoudre, à cette grève, si l’on nous y force… Pluchart, justement, m’a écrit là-dessus des choses très justes. Lui aussi est contre la grève, car l’ouvrier en souffre autant que le patron, sans arriver à rien de décisif. Seulement, il voit là une occasion excellente pour déterminer nos hommes à entrer dans sa grande machine… D’ailleurs, voici sa lettre.

En effet, Pluchart, désolé des méfiances que l’Internationale rencontrait chez les mineurs de Montsou, espérait les voir adhérer en masse, si un conflit les obligeait à lutter contre la Compagnie. Malgré ses efforts, Étienne n’avait pu placer une seule carte de membre, donnant du reste le meilleur de son influence à sa caisse de secours, beaucoup mieux accueillie. Mais cette caisse était encore si pauvre, qu’elle devait être vite épuisée, comme le disait Souvarine ; et, fatalement, les grévistes se jetteraient alors dans l’Association des travailleurs,