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LES ROUGON-MACQUART.

pour que leurs frères de tous les pays leur vinssent en aide.

— Combien avez-vous en caisse ? demanda Rasseneur.

— À peine trois mille francs, répondit Étienne. Et vous savez que la Direction m’a fait appeler avant-hier. Oh ! ils sont très polis, ils m’ont répété qu’ils n’empêchaient pas leurs ouvriers de créer un fonds de réserve. Mais j’ai bien compris qu’ils en voulaient le contrôle… De toute manière, nous aurons une bataille de ce côté-là.

Le cabaretier s’était mis à marcher, en sifflant d’un air dédaigneux. Trois mille francs ! qu’est-ce que vous voulez qu’on fiche avec ça ? Il n’y aurait pas six jours de pain, et si l’on comptait sur des étrangers, des gens qui habitaient l’Angleterre, on pouvait tout de suite se coucher et avaler sa langue. Non, c’était trop bête, cette grève !

Alors, pour la première fois, des paroles aigres furent échangées entre ces deux hommes, qui, d’ordinaire, finissaient par s’entendre, dans leur haine commune du capital.

— Voyons, et toi, qu’en dis-tu ? répéta Étienne, en se tournant vers Souvarine.

Celui-ci répondit par un mot de mépris habituel.

— Les grèves ? des bêtises !

Puis, au milieu du silence fâché qui s’était fait, il ajouta doucement :

— En somme, je ne dis pas non, si ça vous amuse : ça ruine les uns, ça tue les autres, et c’est toujours autant de nettoyé… Seulement, de ce train-là, on mettrait bien mille ans pour renouveler le monde. Commencez donc par me faire sauter ce bagne où vous crevez tous !

De sa main fine, il désignait le Voreux, dont on apercevait les bâtiments par la porte restée ouverte. Mais un drame imprévu l’interrompit : Pologne, la grosse lapine familière, qui s’était hasardée dehors, rentrait