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GERMINAL.

En effet, le râle devenait de plus en plus distinct. C’était ce râle continu qui guidait les travailleurs ; et, maintenant, il semblait souffler sous les pioches mêmes. Brusquement, il cessa.

Tous, silencieux, se regardèrent, frissonnants d’avoir senti passer le froid de la mort, dans les ténèbres. Ils piochaient, trempés de sueur, les muscles tendus à se rompre. Un pied fut rencontré, on enleva dès lors les terres avec les mains, on dégagea les membres un à un. La tête n’avait pas souffert. Des lampes l’éclairaient, et le nom de Chicot circula. Il était tout chaud, la colonne vertébrale cassée par une roche.

— Enveloppez-le dans une couverture, et mettez-le sur une berline, commanda le porion. Au mioche maintenant, dépêchons !

Maheu donna un dernier coup, et une ouverture se fit, on communiqua avec les hommes qui déblayaient l’éboulement, de l’autre côté. Ils crièrent, ils venaient de trouver Jeanlin évanoui, les deux jambes brisées, respirant encore. Ce fut le père qui apporta le petit dans ses bras ; et, les mâchoires serrées, il ne lâchait toujours que des nom de Dieu ! pour dire sa douleur ; tandis que Catherine et les autres femmes s’étaient remises à hurler.

On forma vivement le cortège. Bébert avait ramené Bataille, qu’on attela aux deux berlines : dans la première, gisait le cadavre de Chicot, maintenu par Étienne ; dans la seconde, Maheu s’était assis, portant sur les genoux Jeanlin sans connaissance, couvert d’un lambeau de laine, arraché à une porte d’aérage. Et l’on partit, au pas. Sur chaque berline, une lampe mettait une étoile rouge. Puis, derrière, suivait la queue des mineurs, une cinquantaine d’ombres à la file. Maintenant, la fatigue les écrasait, ils traînaient les pieds, glissaient dans la boue, avec le deuil morne d’un troupeau frappé d’épidémie. Il fallut près d’une demi-heure pour arriver à l’ac-