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GERMINAL.

dames discutèrent une recette, au sujet de l’ananas, qu’on déclara également exquis. Les fruits, du raisin et des poires, achevèrent cet heureux abandon des fins de déjeuner copieux. Tous causaient à la fois, attendris, pendant que le domestique versait un vin du Rhin, pour remplacer le champagne, jugé commun.

Et le mariage de Paul et de Cécile fit certainement un pas sérieux, dans cette sympathie du dessert. Sa tante lui avait jeté des regards si pressants, que le jeune homme se montrait aimable, reconquérant de son air câlin les Grégoire atterrés par ses histoires de pillage. Un instant, M. Hennebeau, devant l’entente si étroite de sa femme et de son neveu, sentit se réveiller l’abominable soupçon, comme s’il avait surpris un attouchement, dans les coups d’œil échangés. Mais, de nouveau, l’idée de ce mariage, fait là, devant lui, le rassura.

Hippolyte servait le café, lorsque la femme de chambre accourut, pleine d’effarement.

— Monsieur, monsieur, les voici !

C’étaient les délégués. Des portes battirent, on entendit passer un souffle d’effroi, au travers des pièces voisines.

— Faites-les entrer dans le salon, dit M. Hennebeau.

Autour de la table, les convives s’étaient regardés, avec un vacillement d’inquiétude. Un silence régna. Puis, ils voulurent reprendre leurs plaisanteries : on feignit de mettre le reste du sucre dans sa poche, on parla de cacher les couverts. Mais le directeur restait grave, et les rires tombèrent, les voix devinrent des chuchotements, pendant que les pas lourds des délégués, qu’on introduisait, écrasaient à côté le tapis du salon.

Madame Hennebeau dit à son mari, en baissant la voix :

— J’espère que vous allez boire votre café.

— Sans doute, répondit-il. Qu’ils attendent !