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LES ROUGON-MACQUART.

était pour une heure, à l’Avantage, d’où l’on irait ensuite chez M. Hennebeau. Il y avait des pommes de terre. Comme il ne restait qu’un petit morceau de beurre, personne n’y toucha. Le soir, on aurait des tartines.

— Tu sais que nous comptons sur toi pour parler, dit tout d’un coup Étienne à Maheu.

Ce dernier demeura saisi, la voix coupée par l’émotion.

— Ah ! non, c’est trop ! s’écria la Maheude. Je veux bien qu’il y aille, mais je lui défends de faire le chef… Tiens ! pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Alors, Étienne s’expliqua, avec sa fougue éloquente. Maheu était le meilleur ouvrier de la fosse, le plus aimé, le plus respecté, celui qu’on citait pour son bon sens. Aussi les réclamations des mineurs prendraient-elles, dans sa bouche, un poids décisif. D’abord, lui, Étienne, devait parler ; mais il était à Montsou depuis trop peu de temps. On écouterait davantage un ancien du pays. Enfin, les camarades confiaient leurs intérêts au plus digne : il ne pouvait pas refuser, ce serait lâche.

La Maheude eut un geste désespéré.

— Va, va, mon homme, fais-toi crever pour les autres. Moi, je consens, après tout !

— Mais je ne saurai jamais, balbutia Maheu. Je dirai des bêtises.

Étienne, heureux de l’avoir décidé, lui tapa sur l’épaule.

— Tu diras ce que tu sens, et ce sera très bien.

La bouche pleine, le père Bonnemort, dont les jambes désenflaient, écoutait, en hochant la tête. Un silence se fit. Quand on mangeait des pommes de terre, les enfants s’étouffaient et restaient très sages. Puis, après avoir avalé, le vieux murmura lentement :

— Dis ce que tu voudras, et ce sera comme si tu n’avais rien dit… Ah ! j’en ai vu, j’en ai vu, de ces affaires ! Il y a quarante ans, on nous flanquait à la porte de la