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LES ROUGON-MACQUART.

prendre un beau poisson, en dessous de l’écluse du canal, on le vendrait et on achèterait du pain. Le vieux Bonnemort et le petit Jeanlin venaient de filer, pour essayer leurs jambes remises à neuf ; tandis que les enfants étaient sortis avec Alzire, qui passait des heures sur le terri, à ramasser des escarbilles. Assise près du maigre feu, qu’on n’osait plus entretenir, la Maheude, dégrafée, un sein hors du corsage et tombant jusqu’au ventre, faisait téter Estelle.

Lorsque le jeune homme replia la lettre, elle l’interrogea.

— Est-ce de bonnes nouvelles ? va-t-on nous envoyer de l’argent ?

Il répondit non du geste, et elle continua :

— Cette semaine, je ne sais comment nous allons faire… Enfin, on tiendra tout de même. Quand on a le bon droit de son côté, n’est-ce pas ? ça vous donne du cœur, on finit toujours par être les plus forts.

À cette heure, elle était pour la grève, raisonnablement. Il aurait mieux valu forcer la Compagnie à être juste, sans quitter le travail. Mais, puisqu’on l’avait quitté, on devait ne pas le reprendre, avant d’obtenir justice. Là-dessus, elle se montrait d’une énergie intraitable. Plutôt crever que de paraître avoir eu tort, lorsqu’on avait raison !

— Ah ! s’écria Étienne, s’il éclatait un bon choléra, qui nous débarrassât de tous ces exploiteurs de la Compagnie !

— Non, non, répondit-elle, il ne faut souhaiter la mort à personne. Ça ne nous avancerait guère, il en repousserait d’autres… Moi, je demande seulement que ceux-là reviennent à des idées plus sensées, et j’attends ça, car il y a des braves gens partout… Vous savez que je ne suis pas du tout pour votre politique.

En effet, elle blâmait d’habitude ses violences de pa-