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GERMINAL.

roles, elle le trouvait batailleur. Qu’on voulût se faire payer son travail ce qu’il valait, c’était bon ; mais pourquoi s’occuper d’un tas de choses, des bourgeois et du gouvernement ? pourquoi se mêler des affaires des autres, où il n’y avait que de mauvais coups à attraper ? Et elle lui gardait son estime, parce qu’il ne se grisait pas et qu’il lui payait régulièrement ses quarante-cinq francs de pension. Quand un homme avait de la conduite, on pouvait lui passer le reste.

Étienne, alors, parla de la République, qui donnerait du pain à tout le monde. Mais la Maheude secoua la tête, car elle se souvenait de 48, une année de chien, qui les avait laissés nus comme des vers, elle et son homme, dans les premiers temps de leur ménage. Elle s’oubliait à en conter les embêtements d’une voix morne, les yeux perdus, la gorge à l’air, tandis que sa fille Estelle, sans lâcher son sein, s’endormait sur ses genoux. Et, absorbé lui aussi, Étienne regardait fixement ce sein énorme, dont la blancheur molle tranchait avec le teint massacré et jauni du visage.

— Pas un liard, murmurait-elle, rien à se mettre sous la dent, et toutes les fosses qui s’arrêtaient. Enfin, quoi ! la crevaison du pauvre monde, comme aujourd’hui !

Mais, à ce moment, la porte s’ouvrit, et ils restèrent muets de surprise devant Catherine qui entrait. Depuis sa fuite avec Chaval, elle n’avait plus reparu au coron. Son trouble était si grand, qu’elle ne referma pas la porte, tremblante et muette. Elle comptait trouver sa mère seule, la vue du jeune homme dérangeait la phrase préparée en route.

— Qu’est ce que tu viens ficher ici ? cria la Maheude, sans même quitter sa chaise. Je ne veux plus de toi, va-t’en !

Alors, Catherine tâcha de rattraper des mots.

— Maman, c’est du café et du sucre… Oui, pour les enfants… J’ai fait des heures, j’ai songé à eux…