Page:Zola - Germinal.djvu/284

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
284
LES ROUGON-MACQUART.

même. Un instant, on s’était cru sauvé, les petits détaillants de Montsou, tués par Maigrat, avaient offert des crédits, pour tâcher de lui reprendre la clientèle ; et, durant une semaine, Verdonck l’épicier, les deux boulangers Carouble et Smelten, tinrent en effet boutique ouverte ; mais leurs avances s’épuisaient, les trois s’arrêtèrent. Des huissiers s’en réjouirent, il n’en résultait qu’un écrasement de dettes, qui devait peser longtemps sur les mineurs. Plus de crédit nulle part, plus une vieille casserole à vendre, on pouvait se coucher dans un coin et crever comme des chiens galeux.

Étienne aurait vendu sa chair. Il avait abandonné ses appointements, il était allé à Marchiennes engager son pantalon et sa redingote de drap, heureux de faire bouillir encore la marmite des Maheu. Seules, les bottes lui restaient, il les gardait pour avoir les pieds solides, disait-il. Son désespoir était que la grève se fût produite trop tôt, lorsque la caisse de prévoyance n’avait pas eu le temps de s’emplir. Il y voyait la cause unique du désastre, car les ouvriers triompheraient sûrement des patrons, le jour où ils trouveraient dans l’épargne l’argent nécessaire à la résistance. Et il se rappelait les paroles de Souvarine, accusant la Compagnie de pousser à la grève, pour détruire les premiers fonds de la caisse.

La vue du coron, de ces pauvres gens sans pain et sans feu, le bouleversait. Il préférait sortir, se fatiguer en promenades lointaines. Un soir, comme il rentrait et qu’il passait près de Réquillart, il avait aperçu, au bord de la route, une vieille femme évanouie. Sans doute, elle se mourait d’inanition ; et, après l’avoir relevée, il s’était mis à héler une fille, qu’il voyait de l’autre côté de la palissade.

— Tiens ! c’est toi, dit-il en reconnaissant la Mouquette. Aide-moi donc, il faudrait lui faire boire quelque chose.