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GERMINAL.

La Mouquette, apitoyée aux larmes, rentra vivement chez elle, dans la masure branlante que son père s’était ménagée au milieu des décombres. Elle en ressortit aussitôt avec du genièvre et un pain. Le genièvre ressuscita la vieille, qui, sans parler, mordit au pain, goulument. C’était la mère d’un mineur, elle habitait un coron, du côté de Cougny, et elle était tombée là, en revenant de Joiselle, où elle avait tenté vainement d’emprunter dix sous à une sœur. Lorsqu’elle eut mangé, elle s’en alla, étourdie.

Étienne était resté dans le champ vague de Réquillar, dont les hangars écroulés disparaissaient sous les ronces.

— Eh bien ! tu n’entres pas boire un petit verre ? lui demanda la Mouquette gaiement.

Et, comme il hésitait :

— Alors, tu as toujours peur de moi ?

Il la suivit, gagné par son rire. Ce pain qu’elle avait donné de si grand cœur, l’attendrissait. Elle ne voulut pas le recevoir dans la chambre du père, elle l’emmena dans sa chambre à elle, où elle versa tout de suite deux petits verres de genièvre. Cette chambre était très propre, il lui en fit compliment. D’ailleurs, la famille ne semblait manquer de rien : le père continuait son service de palefrenier, au Voreux ; et elle, histoire de ne pas vivre les bras croisés, s’était mise blanchisseuse, ce qui lui rapportait trente sous par jour. On a beau rigoler avec les hommes, on n’en est pas plus fainéante pour ça.

— Dis ? murmura-t-elle tout d’un coup, en venant le prendre gentiment par la taille, pourquoi ne veux-tu pas m’aimer ?

Il ne put s’empêcher de rire, lui aussi, tellement elle avait lancé ça d’un air mignon.

— Mais je t’aime bien, répondit-il.

— Non, non, pas comme je veux… Tu sais que j’en meurs d’envie. Dis ? ça me ferait tant plaisir !