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LES ROUGON-MACQUART.

Alors, il lui faut de la chaleur, on brûle tout ce qu’on a.

Pierron, en effet, semblait gaillard, le teint fleuri, la chair grasse. Vainement il soufflait, pour faire l’homme malade. D’ailleurs, la Maheude, en entrant, venait de sentir une forte odeur de lapin : bien sûr qu’on avait déménagé le plat. Des miettes traînaient sur la table ; et, au beau milieu, elle aperçut une bouteille de vin oubliée.

— Maman est allée à Montsou pour tâcher d’avoir un pain, reprit la Pierronne. Nous nous morfondons à l’attendre.

Mais sa voix s’étrangla, elle avait suivi le regard de la voisine, et elle aussi était tombée sur la bouteille. Tout de suite, elle se remit, elle raconta l’histoire : oui, c’était du vin, les bourgeois de la Piolaine lui avaient apporté cette bouteille-là pour son homme, à qui le médecin ordonnait du bordeaux. Et elle ne tarissait pas en remerciements, quels braves bourgeois ! la demoiselle surtout, pas fière, entrant chez les ouvriers, distribuant elle-même ses aumônes !

— Je sais, dit la Maheude, je les connais.

Son cœur se serrait à l’idée que le bien va toujours aux moins pauvres. Jamais ça ne ratait, ces gens de la Piolaine auraient porté de l’eau à la rivière. Comment ne les avait-elle pas vus dans le coron ? Peut-être tout de même en aurait-elle tiré quelque chose.

— J’étais donc venue, avoua-t-elle enfin, pour savoir s’il y avait plus gras chez vous que chez nous… As-tu seulement du vermicelle, à charge de revanche ?

La Pierronne se désespéra bruyamment.

— Rien du tout, ma chère. Pas ce qui s’appelle un grain de semoule… Si maman ne rentre pas, c’est qu’elle n’a point réussi. Nous allons nous coucher sans souper.

À ce moment, des pleurs vinrent de la cave, et elle s’emporta, elle tapa du poing contre la porte. C’était cette coureuse de Lydie qu’elle avait enfermée, disait-elle, pour la punir de n’être rentrée qu’à cinq heures,