Page:Zola - Germinal.djvu/455

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
455
GERMINAL.

blanche, qu’il étalait par une ostentation d’ivrogne, en disant que c’était avec sa sueur qu’on gagnait ça, et qu’il défiait les feignants de montrer dix sous. L’attitude des camarades l’exaspérait, il en arriva aux insultes directes.

— Alors, c’est la nuit que les taupes sortent ? Il faut que les gendarmes dorment pour qu’on rencontre les brigands ?

Étienne s’était levé, très calme, résolu.

— Écoute, tu m’embêtes… Oui, tu es un mouchard, ton argent pue encore quelque traîtrise, et ça me dégoûte de toucher à ta peau de vendu. N’importe ! je suis ton homme, il y a assez longtemps que l’un des deux doit manger l’autre.

Chaval serra les poings.

— Allons donc ! il faut t’en dire pour t’échauffer, bougre de lâche !… Toi tout seul, je veux bien ! et tu vas me payer les cochonneries qu’on m’a faites !

Les bras suppliants, Catherine s’avançait entre eux ; mais ils n’eurent pas la peine de la repousser, elle sentit la nécessité de la bataille, elle recula d’elle-même, lentement. Debout, contre le mur, elle demeura muette, si paralysée d’angoisse, qu’elle ne frissonnait plus, les yeux grands ouverts sur ces deux hommes qui allaient se tuer pour elle.

Madame Rasseneur, simplement, enlevait les chopes de son comptoir, de peur qu’elles ne fussent cassées. Puis, elle se rassit sur la banquette, sans témoigner de curiosité malséante. On ne pouvait pourtant laisser deux anciens camarades s’égorger ainsi. Rasseneur s’entêtait à intervenir, et il fallut que Souvarine le prît par une épaule, le ramenât près de la table, en disant :

— Ça ne te regarde pas… Il y en a un de trop, c’est au plus fort de vivre.

Déjà, sans attendre l’attaque, Chaval lançait dans le