Page:Zola - Germinal.djvu/465

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
465
GERMINAL.

coup sûr une farce, car il ne décolérait pas contre les soldats, il demandait quand on serait débarrassé de ces assassins, qu’on envoyait avec des fusils tuer le monde.

Un instant, Étienne hésita à l’appeler, pour l’empêcher de faire quelque bêtise. La lune s’était cachée, il l’avait vu se ramasser sur lui-même, prêt à bondir ; mais la lune reparaissait, et l’enfant restait accroupi. À chaque tour, la sentinelle s’avançait jusqu’à la cabane, puis tournait le dos et repartait. Et, brusquement, comme un nuage jetait ses ténèbres, Jeanlin sauta sur les épaules du soldat, d’un bond énorme de chat sauvage, s’y agrippa de ses griffes, lui enfonça dans la gorge son couteau grand ouvert. Le col de crin résistait, il dut appuyer des deux mains sur le manche, s’y prendre de tout le poids de son corps. Souvent, il avait saigné des poulets, qu’il surprenait derrière les fermes. Cela fut si rapide, qu’il y eut seulement dans la nuit un cri étouffé, pendant que le fusil tombait avec un bruit de ferraille. Déjà, la lune, très blanche, luisait.

Immobile de stupeur, Étienne regardait toujours. L’appel s’étranglait au fond de sa poitrine. En haut, le terri était vide, aucune ombre ne se détachait plus sur la fuite effarée des nuages. Et il monta au pas de course, il trouva Jeanlin à quatre pattes, devant le cadavre, étalé en arrière, les bras élargis. Dans la neige, sous la clarté limpide, le pantalon rouge et la capote grise tranchaient durement. Pas une goutte de sang n’avait coulé, le couteau était encore dans la gorge, jusqu’au manche.

D’un coup de poing irraisonné, furieux, il abattit l’enfant près du corps.

— Pourquoi as-tu fait ça ? bégayait-il éperdu.

Jeanlin se ramassa, se traîna sur les mains, avec le renflement félin de sa maigre échine ; et ses larges oreilles, ses yeux verts, ses mâchoires saillantes, frémissaient et flambaient, dans la secousse de son mauvais coup.