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LES ROUGON-MACQUART.

— Nom de Dieu ! pourquoi as-tu fait ça ?

— Je ne sais pas, j’en avais envie.

Il se buta à cette réponse. Depuis trois jours, il en avait envie. Ça le tourmentait, la tête lui en faisait du mal, là, derrière les oreilles, tellement il y pensait. Est-ce qu’on avait à se gêner, avec ces cochons de soldats qui embêtaient les charbonniers chez eux ? Des discours violents dans la forêt, des cris de dévastation et de mort hurlés au travers des fosses, cinq ou six mots lui étaient restés, qu’il répétait en gamin jouant à la révolution. Et il n’en savait pas davantage, personne ne l’avait poussé, ça lui était venu tout seul, comme lui venait l’envie de voler des oignons dans un champ.

Étienne, épouvanté de cette végétation sourde du crime au fond de ce crâne d’enfant, le chassa encore, d’un coup de pied, ainsi qu’une bête inconsciente. Il tremblait que le poste du Voreux n’eût entendu le cri étouffé de la sentinelle, il jetait un regard vers la fosse, chaque fois que la lune se découvrait. Mais rien n’avait bougé, et il se pencha, il tâta les mains peu à peu glacées, il écouta le cœur, arrêté sous la capote. On ne voyait, du couteau, que le manche d’os, où la devise galante, ce mot simple : « Amour », était gravée en lettres noires.

Ses yeux allèrent de la gorge au visage. Brusquement, il reconnut le petit soldat : c’était Jules, la recrue, avec qui il avait causé, un matin. Et une grande pitié le saisit, en face de cette douce figure blonde, criblée de taches de rousseur. Les yeux bleus, largement ouverts, regardaient le ciel, de ce regard fixe dont il lui avait vu chercher à l’horizon le pays natal. Où se trouvait-il, ce Plogof, qui lui apparaissait dans un éblouissement de soleil ? Là-bas, là-bas. La mer hurlait au loin, par cette nuit d’ouragan. Ce vent qui passait si haut avait peut-être soufflé sur la lande. Deux femmes étaient debout,