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LES ROUGON-MACQUART.

restaient sans autre désir, avec le passé de leurs amours malheureuses, qu’ils n’avaient pu satisfaire. Était-ce donc à jamais fini ? n’oseraient-ils s’aimer un jour, maintenant qu’ils étaient libres. Il n’aurait fallu qu’un peu de bonheur, pour dissiper leur honte, ce malaise qui les empêchait d’aller ensemble, à cause de toutes sortes d’idées, où ils ne lisaient pas clairement eux-mêmes.

— Recouche-toi, murmura-t-elle. Je ne veux pas allumer, ça réveillerait maman… Il est l’heure, laisse-moi.

Il n’écoutait point, il la pressait éperdument, le cœur noyé d’une tristesse immense. Un besoin de paix, un invincible besoin d’être heureux l’envahissait ; et il se voyait marié, dans une petite maison propre, sans autre ambition que de vivre et de mourir là, tous les deux. Du pain le contenterait ; même s’il n’y en avait que pour un, le morceau serait pour elle. À quoi bon autre chose ? est-ce que la vie valait davantage ?

Elle, cependant, dénouait ses bras nus.

— Je t’en prie, laisse.

Alors, dans un élan de son cœur, il lui dit à l’oreille :

— Attends, je vais avec toi.

Et lui-même s’étonna d’avoir dit cette chose. Il avait juré de ne pas redescendre, d’où venait donc cette décision brusque, sortie de ses lèvres, sans qu’il y eût songé, sans qu’il l’eût discutée un instant ? Maintenant, c’était en lui un tel calme, une guérison si complète de ses doutes, qu’il s’entêtait, en homme sauvé par le hasard, et qui avait trouvé enfin l’unique porte à son tourment. Aussi refusa-t-il de l’entendre, lorsqu’elle s’alarma, comprenant qu’il se dévouait pour elle, redoutant les mauvaises paroles dont on l’accueillerait à la fosse. Il se moquait de tout, les affiches promettaient le pardon, et cela suffisait.

— Je veux travailler, c’est mon idée… Habillons-nous et ne faisons pas de bruit.