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LES ROUGON-MACQUART.

pilés, enchevêtrés, salis, dans cet enragement de la catastrophe. Et le trou s’arrondissait, des gerçures partaient des bords, gagnaient au loin, à travers les champs. Une fente montait jusqu’au débit de Rasseneur, dont la façade avait craqué. Est-ce que le coron lui-même y passerait ? jusqu’où devait-on fuir, pour être à l’abri, dans cette fin de jour abominable, sous cette nuée de plomb, qui elle aussi semblait vouloir écraser le monde ?

Mais Négrel eut un cri de douleur. M. Hennebeau, qui avait reculé, pleura. Le désastre n’était pas complet, une berge se rompit, et le canal se versa d’un coup, en une nappe bouillonnante, dans une des gerçures. Il y disparaissait, il y tombait comme une cataracte dans une vallée profonde. La mine buvait cette rivière, l’inondation maintenant submergeait les galeries pour des années. Bientôt, le cratère s’emplit, un lac d’eau boueuse occupa la place où était naguère le Voreux, pareil à ces lacs sous lesquels dorment des villes maudites. Un silence terrifié s’était fait, on n’entendait plus que la chute de cette eau, ronflant dans les entrailles de la terre.

Alors, sur le terri ébranlé, Souvarine se leva. Il avait reconnu la Maheude et Zacharie, sanglotant en face de cet effondrement, dont le poids pesait si lourd sur les têtes des misérables qui agonisaient au fond. Et il jeta sa dernière cigarette, il s’éloigna sans un regard en arrière, dans la nuit devenue noire. Au loin, son ombre diminua, se fondit avec l’ombre. C’était là-bas qu’il allait, à l’inconnu. Il allait, de son air tranquille, à l’extermination, partout où il y aurait de la dynamite, pour faire sauter les villes et les hommes. Ce sera lui, sans doute, quand la bourgeoisie agonisante entendra, sous elle, à chacun de ses pas, éclater le pavé des rues.