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LES ROUGON-MACQUART.

lorsqu’elle heurta de la main un corps flottant devant elle.

— Dis donc, regarde… Qu’est-ce que c’est ?

Étienne tâta dans les ténèbres.

— Je ne comprends pas, on dirait la couverture d’une porte d’aérage.

Elle but, mais comme elle puisait une seconde gorgée, le corps revint battre sa main. Et elle poussa un cri terrible.

— C’est lui, mon Dieu !

— Qui donc ?

— Lui, tu sais bien ?… J’ai senti ses moustaches.

C’était le cadavre de Chaval, remonté du plan incliné, poussé jusqu’à eux par la crue. Étienne allongea le bras, sentit aussi les moustaches, le nez broyé ; et un frisson de répugnance et de peur le secoua. Prise d’une nausée abominable, Catherine avait craché l’eau qui lui restait à la bouche. Elle croyait qu’elle venait de boire du sang, que toute cette eau profonde, devant elle, était maintenant le sang de cet homme.

— Attends, bégaya Étienne, je vais le renvoyer.

Il donna un coup de pied au cadavre, qui s’éloigna. Mais, bientôt, ils le sentirent de nouveau qui tapait dans leurs jambes.

— Nom de Dieu ! va-t-en donc !

Et, la troisième fois, Étienne dut le laisser. Quelque courant le ramenait. Chaval ne voulait pas partir, voulait être avec eux, contre eux. Ce fut un affreux compagnon, qui acheva d’empoisonner l’air. Pendant toute cette journée, ils ne burent pas, luttant, aimant mieux mourir ; et, le lendemain seulement, la souffrance les décida : ils écartaient le corps à chaque gorgée, ils buvaient quand même. Ce n’était pas la peine de lui casser la tête, pour qu’il revînt entre lui et elle, entêté dans sa jalousie. Jusqu’au bout, il serait là, même mort, pour les empêcher d’être ensemble.