Page:Zola - Germinal.djvu/588

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
588
LES ROUGON-MACQUART.

dans une gloire, il les montrerait comme les seuls grands, les seuls impeccables, comme l’unique noblesse et l’unique force où l’humanité pût se retremper. Déjà, il se voyait à la tribune, triomphant avec le peuple, si le peuple ne le dévorait pas.

Très haut, un chant d’alouette lui fit regarder le ciel. De petites nuées rouges, les dernières vapeurs de la nuit, se fondaient dans le bleu limpide ; et les figures vagues de Souvarine et de Rasseneur lui apparurent. Décidément, tout se gâtait, lorsque chacun tirait à soi le pouvoir. Ainsi, cette fameuse Internationale qui aurait dû renouveler le monde, avortait d’impuissance, après avoir vu son armée formidable se diviser, s’émietter dans des querelles intérieures. Darwin avait-il donc raison, le monde ne serait-il qu’une bataille, les forts mangeant les faibles, pour la beauté et la continuité de l’espèce ? Cette question le troublait, bien qu’il tranchât, en homme content de sa science. Mais une idée dissipa ses doutes, l’enchanta, celle de reprendre son explication ancienne de la théorie, la première fois qu’il parlerait. S’il fallait qu’une classe fût mangée, n’était-ce pas le peuple, vivace, neuf encore, qui mangerait la bourgeoisie épuisée de jouissance ? Du sang nouveau ferait la société nouvelle. Et, dans cette attente d’un envahissement des barbares, régénérant les vieilles nations caduques, reparaissait sa foi absolue à une révolution prochaine, la vraie, celle des travailleurs, dont l’incendie embraserait la fin du siècle de cette pourpre de soleil levant, qu’il regardait saigner au ciel.

Il marchait toujours, rêvassant, battant de sa canne de cornouiller les cailloux de la route ; et, quand il jetait les yeux autour de lui, il reconnaissait des coins du pays. Justement, à la Fourche-aux-Bœufs, il se souvint qu’il avait pris là le commandement de la bande, le matin du saccage des fosses. Aujourd’hui, le travail