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GERMINAL.

de brute, mortel, mal payé, recommençait. Sous la terre, là-bas, à sept cents mètres, il lui semblait entendre des coups sourds, réguliers, continus : c’étaient les camarades qu’il venait de voir descendre, les camarades noirs, qui tapaient, dans leur rage silencieuse. Sans doute ils étaient vaincus, ils y avaient laissé de l’argent et des morts ; mais Paris n’oublierait pas les coups de feu du Voreux, le sang de l’empire lui aussi coulerait par cette blessure inguérissable ; et, si la crise industrielle tirait à sa fin, si les usines rouvraient une à une, l’état de guerre n’en restait pas moins déclaré, sans que la paix fût désormais possible. Les charbonniers s’étaient comptés, ils avaient essayé leur force, secoué de leur cri de justice les ouvriers de la France entière. Aussi leur défaite ne rassurait-elle personne, les bourgeois de Montsou, envahis dans leur victoire du sourd malaise des lendemains de grève, regardaient derrière eux si leur fin n’était pas là quand même, inévitable, au fond de ce grand silence. Ils comprenaient que la révolution renaîtrait sans cesse, demain peut-être, avec la grève générale, l’entente de tous les travailleurs ayant des caisses de secours, pouvant tenir pendant des mois, en mangeant du pain. Cette fois encore, c’était un coup d’épaule donné à la société en ruine, et ils en avaient entendu le craquement sous leurs pas, et ils sentaient monter d’autres secousses, toujours d’autres, jusqu’à ce que le vieil édifice, ébranlé, s’effondrât, s’engloutît comme le Voreux, coulant à l’abîme.

Étienne prit à gauche le chemin de Joiselle. Il se rappela, il y avait empêché la bande de se ruer sur Gaston-Marie. Au loin, dans le soleil clair, il voyait les beffrois de plusieurs fosses, Mirou sur la droite, Madeleine et Crèvecœur, côte à côte. Le travail grondait partout, les coups de rivelaine qu’il croyait saisir, au fond de la terre, tapaient maintenant d’un bout de la