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LES ROUGON-MACQUART.

et répondit, sans se donner la peine de témoigner un regret :

— Mes deux chambres sont prises. Pas possible.

Le jeune homme s’attendait à ce refus ; et il en souffrit pourtant, il s’étonna du brusque ennui qu’il éprouvait à s’éloigner. N’importe, il s’en irait, quand il aurait ses trente sous. Le mineur qui buvait à une table était parti. D’autres, un à un, entraient toujours se décrasser la gorge, puis se remettaient en marche du même pas déhanché. C’était un simple lavage, sans joie ni passion, le muet contentement d’un besoin.

— Alors, il n’y a rien ? demanda d’un ton particulier Rasseneur à Maheu, qui achevait sa bière à petits coups.

Celui-ci tourna la tête et vit qu’Étienne seul était là.

— Il y a qu’on s’est chamaillé encore… Oui, pour le boisage.

Il conta l’affaire. La face du cabaretier avait rougi, une émotion sanguine la gonflait, lui sortait en flammes de la peau et des yeux. Enfin, il éclata.

— Ah bien ! s’ils s’avisent de baisser les prix, ils sont fichus.

Étienne le gênait. Cependant, il continua, en lui lançant des regards obliques. Et il avait des réticences, des sous-entendus, il parlait du directeur, M. Hennebeau, de sa femme, de son neveu le petit Négrel, sans les nommer, répétant que ça ne pouvait pas continuer ainsi, que ça devait casser un de ces quatre matins. La misère était trop grande, il cita les usines qui fermaient, les ouvriers qui s’en allaient. Depuis un mois, il donnait plus de six livres de pain par jour. On lui avait dit, la veille, que M. Deneulin, le propriétaire d’une fosse voisine, ne savait comment tenir le coup. Du reste, il venait de recevoir une lettre de Lille, pleine de détails inquiétants.

— Tu sais, murmura-t-il, ça vient de cette personne que tu as vue ici un soir.