Page:Zola - Germinal.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
76
LES ROUGON-MACQUART.

qui partait ; mais celui-ci hochait la tête, sans ajouter un mot, et le jeune homme le regarda monter péniblement le chemin du coron. Madame Rasseneur, en train de servir des clients, venait de le prier d’attendre une minute, pour qu’elle le conduisît à sa chambre, où il se débarbouillerait. Devait-il rester ? Une hésitation l’avait repris, un malaise qui lui faisait regretter la liberté des grandes routes, la faim au soleil, soufferte avec la joie d’être son maître. Il lui semblait qu’il avait vécu là des années, depuis son arrivée sur le terri, au milieu des bourrasques, jusqu’aux heures passées sous la terre, à plat ventre dans les galeries noires. Et il lui répugnait de recommencer, c’était injuste et trop dur, son orgueil d’homme se révoltait, à l’idée d’être une bête qu’on aveugle et qu’on écrase.

Pendant qu’Étienne se débattait ainsi, ses yeux qui erraient sur la plaine immense, peu à peu l’aperçurent. Il s’étonna, il ne s’était pas figuré l’horizon de la sorte, lorsque le vieux Bonnemort le lui avait indiqué du geste, au fond des ténèbres. Devant lui, il retrouvait bien le Voreux, dans un pli de terrain, avec ses bâtiments de bois et de briques, le criblage goudronné, le beffroi couvert d’ardoises, la salle de la machine et la haute cheminée d’un rouge pâle, tout cela tassé, l’air mauvais. Mais, autour des bâtiments, le carreau s’étendait, et il ne se l’imaginait pas si large, changé en un lac d’encre par les vagues montantes du stock de charbon, hérissé des hauts chevalets qui portaient les rails des passerelles, encombré dans un coin de la provision des bois, pareille à la moisson d’une forêt fauchée. Vers la droite, le terri barrait la vue, colossal comme une barricade de géants, déjà couvert d’herbe dans sa partie ancienne, consumé à l’autre bout par un feu intérieur qui brûlait depuis un an, avec une fumée épaisse, en laissant à la surface, au milieu du