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LES ROUGON-MACQUART.

Il la regarda sans répondre. Il était gros, froid et poli, et il se piquait de ne jamais revenir sur une décision.

— Voyons, vous ne me renverrez pas comme hier. Faut que nous mangions du pain d’ici à samedi… Bien sûr, nous vous devons soixante francs depuis deux ans…

Elle s’expliquait, en courtes phrases pénibles. C’était une vieille dette, contractée pendant la dernière grève. Vingt fois, ils avaient promis de s’acquitter, mais ils ne le pouvaient pas, ils ne parvenaient pas à lui donner quarante sous par quinzaine. Avec ça, un malheur lui était arrivé l’avant-veille, elle avait dû payer vingt francs à un cordonnier, qui menaçait de les faire saisir. Et voilà pourquoi ils se trouvaient sans un sou. Autrement, ils seraient allés jusqu’au samedi, comme les camarades.

Maigrat, le ventre tendu, les bras croisés, répondait non de la tête, à chaque supplication.

Rien que deux pains, monsieur Maigrat. Je suis raisonnable, je ne demande pas du café… Rien que deux pains de trois livres par jour.

— Non ! cria-t-il enfin, de toute sa force.

Sa femme avait paru, une créature chétive qui passait les journées sur un registre, sans même oser lever la tête. Elle s’esquiva, effrayée de voir cette malheureuse tourner vers elle des yeux d’ardente prière. On racontait qu’elle cédait le lit conjugal aux herscheuses de la clientèle. C’était un fait connu : quand un mineur voulait une prolongation de crédit, il n’avait qu’à envoyer sa fille ou sa femme, laides ou belles, pourvu qu’elles fussent complaisantes.

La Maheude, qui suppliait toujours Maigrat du regard, se sentit gênée, sous la clarté pâle des petits yeux dont il la déshabillait. Ça la mit en colère, elle aurait encore compris, avant d’avoir eu sept enfants, quand elle était jeune. Et elle partit, elle tira violemment Lénore