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LES ROUGON-MACQUART.

réuni pour porter une santé au conjungo, et non pour se mettre dans les brindezingues. Ce petit discours, débité d’une voix convaincue par le zingueur, qui posait la main sur sa poitrine à la chute de chaque phrase, eut la vive approbation de Lorilleux et de M. Madinier. Mais les autres, Boche, Gaudron, Bibi-la-Grillade, surtout Mes-Bottes, très-allumés tous les quatre, ricanèrent, la langue épaissie, ayant une sacrée coquine de soif, qu’il fallait pourtant arroser.

— Ceux qui ont soif, ont soif, et ceux qui n’ont pas soif, n’ont pas soif, fit remarquer Mes-Bottes. Pour lors, on va commander le brûlot… On n’esbrouffe personne. Les aristos feront monter de l’eau sucrée.

Et comme le zingueur recommençait à prêcher, l’autre, qui s’était mis debout, se donna une claque sur la fesse, en criant :

— Ah ! tu sais, baise cadet !… Garçon, deux litres de vieille !

Alors, Coupeau dit que c’était très-bien, qu’on allait seulement régler le repas tout de suite. Ça éviterait des disputes. Les gens bien élevés n’avaient pas besoin de payer pour les soûlards. Et, justement, Mes-Bottes, après s’être fouillé longtemps, ne trouva que trois francs sept sous. Aussi pourquoi l’avait-on laissé droguer sur la route de Saint-Denis ? Il ne pouvait pas se laisser nayer, il avait cassé la pièce de cent sous. Les autres étaient fautifs, voilà ! Enfin, il donna trois francs, gardant les sept sous pour son tabac du lendemain. Coupeau, furieux, aurait cogné, si Gervaise ne l’avait tiré par sa redingote, très effrayée, suppliante. Il se décida à emprunter deux francs à Lorilleux, qui, après les avoir refusés, se cacha pour les prêter, car sa femme, bien sûr, n’aurait jamais voulu.