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L’ASSOMMOIR.

pouvait pas y avoir de pique-nique sans cet avale-tout de Mes-Bottes. Et les hommes, leurs pipes allumées, le couvaient d’un regard jaloux ; car enfin, pour tant manger, il fallait être solidement bâti !

— Je ne voudrais pas être chargée de vous nourrir, dit madame Gaudron. Ah ! non, par exemple !

— Dites donc, la petite mère, faut pas blaguer, répondit Mes-Bottes, avec un regard oblique sur le ventre de sa voisine. Vous en avez avalé plus long que moi.

On applaudit, on cria bravo : c’était envoyé. Il faisait nuit noire, trois becs de gaz flambaient dans la salle, remuant de grandes clartés troubles, au milieu de la fumée des pipes. Les garçons, après avoir servi le café et le cognac, venaient d’emporter les dernières piles d’assiettes sales. En bas, sous les trois acacias, le bastringue commençait, un cornet à pistons et deux violons jouant très-fort, avec des rires de femme, un peu rauques dans la nuit chaude.

— Faut faire un brûlot ! cria Mes-Bottes ; deux litres de casse-poitrine, beaucoup de citron et pas beaucoup de sucre !

Mais Coupeau, voyant en face de lui le visage inquiet de Gervaise, se leva en déclarant qu’on ne boirait pas davantage. On avait vidé vingt-cinq litres, chacun son litre et demi, en comptant les enfants comme des grandes personnes ; c’était déjà trop raisonnable. On venait de manger un morceau ensemble, en bonne amitié, sans flafla, parce qu’on avait de l’estime les uns pour les autres et qu’on désirait célébrer entre soi une fête de famille. Tout se passait très gentiment, on était gai, il ne fallait pas maintenant se cocarder cochonnément, si l’on voulait respecter les dames. En un mot, et comme fin finale, on s’était