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L’ASSOMMOIR.

lancées à toute volée, avaient seulement fait mettre à sa fenêtre une petite vieille ; et cette vieille restait là, accoudée, se donnant la distraction d’une grosse émotion, à regarder cet homme, sur la toiture d’en face, comme si elle espérait le voir tomber d’une minute à l’autre.

— Eh bien ! bonsoir, cria encore madame Boche. Je ne veux pas vous déranger.

Coupeau se tourna, reprit le fer que Zidore lui tendait. Mais au moment où la concierge s’éloignait, elle aperçut sur l’autre trottoir Gervaise, tenant Nana par la main. Elle relevait déjà la tête pour avertir le zingueur, lorsque la jeune femme lui ferma la bouche d’un geste énergique. Et, à demi-voix, afin de n’être pas entendue là-haut, elle dit sa crainte : elle redoutait, en se montrant tout d’un coup, de donner à son mari une secousse, qui le précipiterait. En quatre ans, elle était allée le chercher une seule fois à son travail. Ce jour-là, c’était la seconde fois. Elle ne pouvait pas assister à ça, son sang ne faisait qu’un tour, quand elle voyait son homme entre ciel et terre, à des endroits où les moineaux eux-mêmes ne se risquaient pas.

— Sans doute, ce n’est pas agréable, murmurait madame Boche. Moi, le mien est tailleur, je n’ai pas ces tremblements.

— Si vous saviez, dans les premiers temps, dit encore Gervaise, j’avais des frayeurs du matin au soir. Je le voyais toujours, la tête cassée, sur une civière… Maintenant, je n’y pense plus autant. On s’habitue à tout. Il faut bien que le pain se gagne… N’importe, c’est un pain joliment cher, car on y risque ses os plus souvent qu’à son tour.

Elle se tut, cachant Nana dans sa jupe, craignant