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Page:Zola - L'Assommoir.djvu/157

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L’ASSOMOIR.

lumière était éteinte, elle trouvait à y songer, les yeux ouverts, le charme d’un plaisir défendu. Elle faisait de nouveau ses calculs : deux cent cinquante francs pour le loyer, cent cinquante francs d’outils et d’installation, cent francs d’avance afin de vivre quinze jours ; en tout cinq cents francs, au chiffre le plus bas. Si elle n’en parlait pas tout haut, continuellement, c’était de crainte de paraître regretter les économies mangées par la maladie de Coupeau. Elle devenait toute pâle souvent, ayant failli laisser échapper son envie, rattrapant sa phrase avec la confusion d’une vilaine pensée. Maintenant, il faudrait travailler quatre ou cinq années, avant d’avoir mis de côté une si grosse somme. Sa désolation était justement de ne pouvoir s’établir tout de suite ; elle aurait fourni aux besoins du ménage, sans compter sur Coupeau, en lui laissant des mois pour reprendre goût au travail ; elle se serait tranquillisée, certaine de l’avenir, débarrassée des peurs secrètes dont elle se sentait prise parfois, lorsqu’il revenait très-gai, chantant, racontant quelque bonne farce de cet animal de Mes-Bottes, auquel il avait payé un litre.

Un soir, Gervaise se trouvant seule chez elle, Goujet entra et ne se sauva pas, comme à son habitude. Il s’était assis, il fumait en la regardant. Il devait avoir une phrase grave à prononcer ; il la retournait, la mûrissait, sans pouvoir lui donner une forme convenable. Enfin, après un gros silence, il se décida, il retira sa pipe de la bouche, pour dire tout d’un trait :

— Madame Gervaise, voudriez-vous me permettre de vous prêter de l’argent ?

Elle était penchée sur un tiroir de sa commode, cherchant des torchons. Elle se releva, très rouge. Il l’avait donc vue, le matin, rester en extase devant la