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Page:Zola - L'Assommoir.djvu/223

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L’ASSOMMOIR.

main tout de suite. Quand vous donnez seulement un torchon à une ouvrière, ça se voit… N’est-ce pas ? vous mettrez un peu moins d’amidon, voilà tout ! Goujet ne tient pas à avoir l’air d’un monsieur.

Cependant, elle avait pris le livre et effaçait les pièces d’un trait de plume. Tout y était bien. Quand elles réglèrent, elle vit que Gervaise lui comptait un bonnet six sous ; elle se récria, mais elle dut convenir qu’elle n’était vraiment pas chère pour le courant ; non, les chemises d’homme cinq sous, les pantalons de femme quatre sous, les taies d’oreiller un sou et demi, les tabliers un sou, ce n’était pas cher, attendu que bien des blanchisseuses prenaient deux liards ou même un sou de plus pour toutes ces pièces. Puis, lorsque Gervaise eut appelé le linge sale, que la vieille femme inscrivait, elle le fourra dans son panier, elle ne s’en alla pas, embarrassée, ayant aux lèvres une demande qui la gênait beaucoup.

— Madame Goujet, dit-elle enfin, si ça ne vous faisait rien, je prendrais l’argent du blanchissage, ce mois-ci.

Justement, le mois était très fort, le compte qu’elles venaient d’arrêter ensemble se montait à dix francs sept sous. Madame Goujet la regarda un moment d’un air sérieux. Puis, elle répondit :

— Mon enfant, ce sera comme il vous plaira. Je ne veux pas vous refuser cet argent, du moment où vous en avez besoin… Seulement, ce n’est guère le chemin de vous acquitter ; je dis cela pour vous, vous entendez. Vrai, vous devriez prendre garde.

Gervaise, la tête basse, reçut la leçon en bégayant. Les dix francs devaient compléter l’argent d’un billet qu’elle avait souscrit à son marchand de coke. Mais madame Goujet devint plus sévère au mot de billet.