Page:Zola - L'Assommoir.djvu/234

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
234
LES ROUGON-MACQUART.

Clémence discutaient l’efficacité des œufs durs et des feuilles d’épinard. Alors, Virginie, qui restait rêveuse, son verre de café à la main, dit tout bas :

— Mon Dieu ! on se cogne, on s’embrasse, ça va toujours quand on a bon cœur…

Et, se penchant vers Gervaise, avec un sourire :

— Non, bien sûr, je ne vous en veux pas… L’affaire du lavoir, vous vous souvenez ?

La blanchisseuse demeura toute gênée. Voilà ce qu’elle craignait. Maintenant, elle devinait qu’il allait être question de Lantier et d’Adèle. La mécanique ronflait, un redoublement de chaleur rayonnait du tuyau rouge. Dans cet assoupissement, les ouvrières, qui faisaient durer leur café pour se remettre à l’ouvrage le plus tard possible, regardaient la neige de la rue, avec des mines gourmandes et alanguies. Elles en étaient aux confidences ; elles disaient ce qu’elles auraient fait, si elles avaient eu dix mille francs de rente ; elles n’auraient rien fait du tout, elles seraient restées comme ça des après-midi à se chauffer, en crachant de loin sur la besogne. Virginie s’était rapprochée de Gervaise, de façon à ne pas être entendue des autres. Et Gervaise se sentait toute lâche, à cause sans doute de la trop grande chaleur, si molle et si lâche, qu’elle ne trouvait pas la force de détourner la conversation ; même elle attendait les paroles de la grande brune, le cœur gros d’une émotion dont elle jouissait sans se l’avouer.

— Je ne vous fais pas de la peine, au moins ? reprit la couturière. Vingt fois déjà, ça m’est venu sur la langue. Enfin, puisque nous sommes là-dessus… C’est pour causer, n’est-ce pas ?… Ah ! bien sûr, non, je ne vous en veux pas de ce qui s’est passé. Parole d’honneur ! je n’ai pas gardé ça de rancune contre vous.