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L’ASSOMMOIR.

Virginie comprit tout d’un coup, en voyant chez François, assis à une table, Lantier qui dînait tranquillement. Les deux femmes entraînèrent le forgeron.

— Le pied m’a tourné, dit Gervaise, quand elle put parler.

Enfin, au bas de la rue, ils découvrirent Coupeau et Poisson dans l’Assommoir du père Colombe. Ils se tenaient debout, au milieu d’un tas d’hommes ; Coupeau, en blouse grise, criait, avec des gestes furieux et des coups de poing sur le comptoir ; Poisson, qui n’était pas de service ce jour-là, serré dans un vieux paletot marron, l’écoutait, la mine terne et silencieuse, hérissant son impériale et ses moustaches rouges. Goujet laissa les femmes au bord du trottoir, vint poser la main sur l’épaule du zingueur. Mais quand ce dernier aperçut Gervaise et Virginie dehors, il se fâcha. Qui est-ce qui lui avait fichu des femelles de cette espèce ? Voilà que les jupons le relançaient maintenant ! Eh bien ! il ne bougerait pas, elles pouvaient manger leur saloperie de dîner toutes seules. Pour l’apaiser, il fallut que Goujet acceptât une tournée de quelque chose ; encore mit-il de la méchanceté à traîner cinq grandes minutes devant le comptoir. Lorsqu’il sortit enfin, il dit à sa femme :

— Ça ne me va pas… Je reste où j’ai affaire, entends-tu !

Elle ne répondit rien. Elle était toute tremblante. Elle avait dû causer de Lantier avec Virginie, car celle-ci poussa son mari et Goujet, en leur criant de marcher les premiers. Les deux femmes se mirent ensuite aux côtés du zingueur, pour l’occuper et l’empêcher de voir. Il était à peine allumé, plutôt étourdi d’avoir gueulé que d’avoir bu. Par taquinerie, comme elles semblaient vouloir suivre le trottoir de gauche, il les