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LES ROUGON-MACQUART.

bouscula, il passa sur le trottoir de droite. Elles coururent, effrayées, et tâchèrent de masquer la porte de François. Mais Coupeau devait savoir que Lantier était là. Gervaise demeura stupide, en l’entendant grogner :

— Oui, n’est-ce pas ! ma biche, il y a là un cadet de notre connaissance. Faut pas me prendre pour un jobard… Que je te pince à te balader encore, avec tes yeux en coulisse !

Et il lâcha des mots crus. Ce n’était pas lui qu’elle cherchait, les coudes à l’air, la margoulette enfarinée ; c’était son ancien marlou. Puis, brusquement, il fut pris d’une rage folle contre Lantier. Ah ! le brigand, ah ! la crapule ! Il fallait que l’un des deux restât sur le trottoir, vidé comme un lapin. Cependant, Lantier paraissait ne pas comprendre, mangeait lentement du veau à l’oseille. On commençait à s’attrouper. Virginie emmena enfin Coupeau, qui se calma subitement, dès qu’il eut tourné le coin de la rue. N’importe, on revint à la boutique moins gaiement qu’on n’en était sorti.

Autour de la table, les invités attendaient avec des mines longues. Le zingueur donna des poignées de main, en se dandinant devant les dames. Gervaise, un peu oppressée, parlait à demi-voix, faisait placer le monde. Mais, brusquement, elle s’aperçut que, madame Goujet n’étant pas venue, une place allait rester vide, la place à côté de madame Lorilleux.

— Nous sommes treize ! dit-elle, très émue, voyant là une nouvelle preuve du malheur dont elle se sentait menacée depuis quelque temps.

Les dames, déjà assises, se levèrent d’un air inquiet et fâché. Madame Putois offrit de se retirer, parce que, selon elle, il ne fallait pas jouer avec ça ; d’ailleurs, elle ne toucherait à rien, les morceaux ne