Page:Zola - L'Assommoir.djvu/316

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
316
LES ROUGON-MACQUART.

du matin au soir aller de la boutique à la chambre du fond, en bras de chemise, haussant la voix, ordonnant ; il répondait même aux pratiques, il menait la baraque. Le vin de François lui ayant déplu, il persuada à Gervaise d’acheter désormais son vin chez Vigouroux, le charbonnier d’à côté, dont il allait pincer la femme avec Boche, en faisant les commandes. Puis, ce fut le pain de Coudeloup qu’il trouva mal cuit ; et il envoya Augustine chercher le pain à la boulangerie viennoise du faubourg Poissonnière, chez Meyer. Il changea aussi Lehongre, l’épicier, et ne garda que le boucher de la rue Polonceau, le gros Charles, à cause de ses opinions politiques. Au bout d’un mois, il voulut mettre toute la cuisine à l’huile. Comme disait Clémence, en le blaguant, la tache d’huile reparaissait quand même chez ce sacré Provençal. Il faisait lui-même les omelettes, des omelettes retournées des deux côtés, plus rissolées que des crêpes, si fermes qu’on aurait dit des galettes. Il surveillait maman Coupeau, exigeant les biftecks très cuits, pareils à des semelles de soulier, ajoutant de l’ail partout, se fâchant si l’on coupait de la fourniture dans la salade, des mauvaises herbes, criait-il, parmi lesquelles pouvait bien se glisser du poison. Mais son grand régal était un certain potage, du vermicelle cuit à l’eau, très épais, où il versait la moitié d’une bouteille d’huile. Lui seul en mangeait avec Gervaise, parce que les autres, les Parisiens, pour s’être un jour risqués à y goûter, avaient failli rendre tripes et boyaux.

Peu à peu, Lantier en était venu également à s’occuper des affaires de la famille. Comme les Lorilleux rechignaient toujours pour sortir de leur poche les cent sous de la maman Coupeau, il avait expliqué