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LES ROUGON-MACQUART.

— N’est-ce pas ? on racontait hier qu’il y en avait une de partie, au rez-de-chaussée. Alors, moi, j’avais cru… Vous savez, dans notre métier, ces choses-là, ça entre par une oreille et ça sort de l’autre… Je vous fais tout de même mon compliment. Hein ? le plus tard, c’est encore le meilleur, quoique la vie ne soit pas toujours drôle, ah ! non, par exemple !

Elle l’écoutait, se reculait, avec la peur qu’il ne la saisît de ses grandes mains sales, pour l’emporter dans sa boîte. Déjà une fois, le soir de ses noces, il lui avait dit en connaître des femmes, qui le remercieraient, s’il montait les prendre. Eh bien ! elle n’en était pas là, ça lui faisait froid dans l’échine. Son existence s’était gâtée, mais elle ne voulait pas s’en aller si tôt ; oui, elle aimait mieux crever la faim pendant des années, que de crever la mort, l’histoire d’une seconde.

— Il est poivre, murmura-t-elle d’un air de dégoût mêlé d’épouvante. L’administration devrait au moins ne pas envoyer des pochards. On paye assez cher.

Alors, le croque-mort se montra goguenard et insolent.

— Dites donc, ma petite mère, ce sera pour une autre fois. Tout à votre service, entendez-vous ! Vous n’avez qu’à me faire signe. C’est moi qui suis le consolateur des dames… Et ne crache pas sur le père Bazouge, parce qu’il en a tenu dans ses bras de plus chic que toi, qui se sont laissé arranger sans se plaindre, bien contentes de continuer leur dodo à l’ombre.

— Taisez-vous, père Bazouge ! dit sévèrement Lorilleux, accouru au bruit des voix. Ce ne sont pas des plaisanteries convenables. Si l’on se plaignait, vous seriez renvoyé… Allons, fichez le camp, puisque vous ne respectez pas les principes.