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L’ASSOMMOIR.

connue d’eux seuls, débattue déjà, il demanda simplement, à demi-voix :

— Alors, non ? vous dites non ?

— Oh ! bien sûr, non, monsieur Coupeau, répondit tranquillement Gervaise souriante. Vous n’allez peut-être pas me parler de ça ici. Vous m’aviez promis pourtant d’être raisonnable… Si j’avais su, j’aurais refusé votre consommation.

Il ne reprit pas la parole, continua à la regarder, de tout près, avec une tendresse hardie et qui s’offrait, passionné surtout pour les coins de ses lèvres, de petits coins d’un rose pâle, un peu mouillé, laissant voir le rouge vif de la bouche, quand elle souriait. Elle, pourtant, ne se reculait pas, demeurait placide et affectueuse. Au bout d’un silence, elle dit encore :

— Vous n’y songez pas, vraiment. Je suis une vieille femme, moi ; j’ai un grand garçon de huit ans… Qu’est-ce que nous ferions ensemble ?

— Pardi ! murmura Coupeau en clignant les yeux, ce que font les autres !

Mais elle eut un geste d’ennui.

— Ah ! si vous croyez que c’est toujours amusant ? On voit bien que vous n’avez pas été en ménage… Non, monsieur Coupeau, il faut que je pense aux choses sérieuses. La rigolade, ça ne mène à rien, entendez-vous ! J’ai deux bouches à la maison, et qui avalent ferme, allez ! Comment voulez-vous que j’arrive à élever mon petit monde, si je m’amuse à la bagatelle ?… Et puis, écoutez, mon malheur a été une fameuse leçon. Vous savez, les hommes maintenant, ça ne fait plus mon affaire. On ne me repincera pas de longtemps.

Elle s’expliquait sans colère, avec une grande sa-