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LES ROUGON-MACQUART.

gesse, très froide, comme si elle avait traité une question d’ouvrage, les raisons qui l’empêchaient de passer un corps de fichu à l’empois. On voyait qu’elle avait arrêté ça dans sa tête, après de mûres réflexions.

Coupeau, attendri, répétait :

— Vous me causez bien de la peine, bien de la peine…

— Oui, c’est ce que je vois, reprit-elle, et j’en suis fâchée pour vous, monsieur Coupeau… Il ne faut pas que ça vous blesse. Si j’avais des idées à rire, mon Dieu ! ce serait encore plutôt avec vous qu’avec un autre. Vous avez l’air bon garçon, vous êtes gentil. On se mettrait ensemble, n’est-ce pas ? et on irait tant qu’on irait. Je ne fais pas ma princesse, je ne dis point que ça n’aurait pas pu arriver… Seulement, à quoi bon, puisque je n’en ai pas envie ? Me voilà chez madame Fauconnier depuis quinze jours. Les petits vont à l’école. Je travaille, je suis contente… Hein ? le mieux alors est de rester comme on est.

Et elle se baissa pour prendre son panier.

— Vous me faites causer, on doit m’attendre chez la patronne… Vous en trouverez une autre, allez ! monsieur Coupeau, plus jolie que moi, et qui n’aura pas deux marmots à traîner.

Il regardait l’œil-de-bœuf, encadré dans la glace. Il la fit rasseoir, en criant :

— Attendez donc ! Il n’est que onze heures trente-cinq… J’ai encore vingt-cinq minutes… Vous ne craignez pourtant pas que je fasse des bêtises ; il y a la table entre nous… Alors, vous me détestez, au point de ne pas vouloir faire un bout de causette ?

Elle posa de nouveau son panier, pour ne pas le désobliger ; et ils parlèrent en bons amis. Elle avait