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L’ASSOMMOIR.

Puis, comme elles montaient l’escalier, elle parut brusquement se souvenir.

— À propos, dis-moi donc ce que ces demoiselles se sont dit à l’oreille ; tu sais, la saleté de Sophie ?

Et Nana ne fit pas de façon. Seulement, elle prit madame Lerat par le cou, la força à redescendre deux marches, parce que, vrai, ça ne pouvait pas se répéter tout haut, même dans un escalier. Et elle souffla le mot. C’était si gros, que la tante se contenta de hocher la tête, en arrondissant les yeux et en tordant la bouche. Enfin, elle savait, ça ne la démangeait plus.

Les fleuristes déjeunaient sur leurs genoux, pour ne pas salir l’établi. Elles se dépêchaient d’avaler, ennuyées de manger, préférant employer l’heure du repas à regarder les gens qui passaient ou à se faire des confidences dans les coins. Ce jour-là, on tâcha de savoir où se cachait le monsieur de la matinée ; mais, décidément, il avait disparu. Madame Lerat et Nana se jetaient des coups d’œil, les lèvres cousues. Et il était déjà une heure dix, les ouvrières ne paraissaient pas pressées de reprendre leurs pinces, lorsque Léonie, d’un bruit des lèvres, du prrrout ! dont les ouvriers peintres s’appellent, signala l’approche de la patronne. Aussitôt, toutes furent sur leurs chaises, le nez dans l’ouvrage. Madame Titreville entra et fit le tour, sévèrement.

À partir de ce jour, madame Lerat se régala de la première histoire de sa nièce. Elle ne la lâchait plus, l’accompagnait matin et soir, en mettant en avant sa responsabilité. Ça ennuyait bien un peu Nana ; mais ça la gonflait tout de même, d’être gardée comme un trésor ; et les conversations qu’elles avaient dans les rues toutes les deux, avec le fabricant de boutons derrière elles, l’échauffaient et lui donnaient plutôt