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LES ROUGON-MACQUART.

pouvaient-ils s’attraper sans cesse à propos de la politique ? Ils mâchèrent un instant de sourdes paroles. Puis, le sergent de ville, pour montrer qu’il n’avait pas de rancune, apporta le couvercle de sa petite boîte, qu’il venait de terminer ; on lisait dessus, en lettres marquetées : À Auguste, souvenir d’amitié. Lantier, très flatté, se renversa, s’étala, si bien qu’il était presque sur Virginie. Et le mari regardait ça, avec son visage couleur de vieux mur, dans lequel ses yeux troubles ne disaient rien ; mais les poils rouges de ses moustaches remuaient tout seuls par moment, d’une drôle de façon, ce qui aurait pu inquiéter un homme moins sûr de son affaire que le chapelier.

Cet animal de Lantier avait ce toupet tranquille qui plaît aux dames. Comme Poisson tournait le dos, il lui poussa l’idée farce de poser un baiser sur l’œil gauche de madame Poisson. D’ordinaire, il montrait une prudence sournoise ; mais, quand il s’était disputé pour la politique, il risquait tout, histoire d’avoir raison sur la femme. Ces caresses goulues, chipées effrontément derrière le sergent de ville, le vengeaient de l’Empire, qui faisait de la France une maison à gros numéro. Seulement, cette fois, il avait oublié la présence de Gervaise. Elle venait de rincer et d’essuyer la boutique, elle se tenait debout près du comptoir, à attendre qu’on lui donnât ses trente sous. Le baiser sur l’œil la laissa très calme, comme une chose naturelle dont elle ne devait pas se mêler. Virginie parut un peu embêtée. Elle jeta les trente sous sur le comptoir, devant Gervaise. Celle-ci ne bougea pas, ayant l’air d’attendre toujours, secouée encore par le lavage, mouillée et laide comme un chien qu’on tirerait d’un égout.