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L’ASSOMMOIR.

— Alors, elle ne vous a rien dit ? demanda-t-elle enfin au chapelier.

— Qui ça ? cria-t-il. Ah ! oui, Nana !… Mais non, rien autre chose. La gueuse a une bouche ! un petit pot de fraises !

Et Gervaise s’en alla avec ses trente sous dans la main. Ses savates éculées crachaient comme des pompes, de véritables souliers à musique, qui jouaient un air en laissant sur le trottoir les empreintes mouillées de leurs larges semelles.

Dans le quartier, les soûlardes de son espèce racontaient maintenant qu’elle buvait pour se consoler de la culbute de sa fille. Elle-même, quand elle sifflait son verre de rogome sur le comptoir, prenait des airs de drame, se jetait ça dans le plomb en souhaitant que ça la fît crever. Et, les jours où elle rentrait ronde comme une bourrique, elle bégayait que c’était le chagrin. Mais les gens honnêtes haussaient les épaules ; on la connaît celle-là, de mettre les culottes de poivre d’Assommoir sur le compte du chagrin ; en tout cas, ça devait s’appeler du chagrin en bouteille. Sans doute, au commencement, elle n’avait pas digéré la fugue de Nana. Ce qui restait en elle d’honnêteté se révoltait ; puis, généralement, une mère n’aime pas se dire que sa demoiselle, juste à la minute, se fait peut-être tutoyer par le premier venu. Mais elle était déjà trop abêtie, la tête malade et le cœur écrasé, pour garder longtemps cette honte. Chez elle, ça entrait et ça sortait. Elle restait très bien des huit jours sans songer à sa gourgandine ; et, brusquement, une tendresse ou une colère l’empoignait, des fois à jeun, des fois le sac plein, un besoin furieux de pincer Nana dans un petit endroit, où elle l’aurait peut-être embrassée, peut-être rouée de