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L’ASSOMMOIR.

tait approchée, un grand brun, l’air roublard, qui l’aperçut, rentra vivement pour prévenir le mari ; lorsque celui-ci arriva en se dandinant, il avait étouffé deux roues de derrière, deux belles pièces de cent sous neuves, une dans chaque soulier. Il prit l’un de ses gosses sur son bras, il s’en alla en contant des craques à sa bourgeoise qui le querellait. Il y en avait de rigolos, sautant d’un bond dans la rue, pressés de courir béquiller leur quinzaine avec les amis. Il y en avait aussi de lugubres, la mine rafalée, serrant dans leur poing crispé les trois ou quatre journées sur quinze qu’ils avaient faites, se traitant de faignants, faisant des serments d’ivrogne. Mais le plus triste, c’était la douleur de la petite femme noire, humble et délicate : son homme, un beau garçon, venait de se cavaler sous son nez, si brutalement, qu’il avait failli la jeter par terre ; et elle rentrait seule, chancelant le long des boutiques, pleurant toutes les larmes de son corps.

Enfin, le défilé avait cessé. Gervaise, droite au milieu de la rue, regardait la porte. Ça commençait à sentir mauvais. Deux ouvriers attardés se montrèrent encore, mais toujours pas de Coupeau. Et, comme elle demandait aux ouvriers si Coupeau n’allait pas sortir, eux qui étaient à la couleur, lui répondirent en blaguant que le camarade venait tout juste de filer avec Lantimêche par une porte de derrière, pour mener les poules pisser. Gervaise comprit. Encore une menterie de Coupeau, elle pouvait aller voir s’il pleuvait ! Alors, lentement, traînant sa paire de ripatons éculés, elle descendit la rue de la Charbonnière. Son dîner courait joliment devant elle, et elle le regardait courir, dans le crépuscule jaune, avec un petit frisson. Cette fois, c’était fini. Pas un fifrelin, plus un espoir, plus que de la nuit et de la faim. Ah !